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Mesurer soi-même sa qualité de vie, une figure du management de soi

Conférence à l’ENS le 26 mai 2014, journée d’études « Mesurer la qualité de la vie dans la cité et au travail : projet gestionnaire ou phénomène démocratique ? »

Thèmes liés : Management


L’analyse d’un programme de développement personnel commercialisé par le coach américain Anthony Robbins montre en quoi il incite ses usagers à la quantification des différents aspects de leur existence, aux fins d’une qualité accrue de celle-ci. Au-delà de cette injonction à l’auto-quantification, de nombreux ouvrages de coaching de vie et de développement personnel édités depuis une vingtaine d’années aux États-Unis (et dans une moindre mesure en France) tendent à prescrire des modes de gouvernement de soi calqués sur le modèle du management d’entreprise.

Lire le texte de la conférence


La vidéo d’Anthony Robbins dont sont extraites ces images fait partie d’un coffret de coaching vendu en plusieurs millions d’exemplaires aux États-Unis durant les quinze dernières années.

Dans ces extraits, Robbins entend fournir à ses spectateurs (car c’est bien d’un spectacle qu’il s’agit) un instrument de quantification de la qualité - le quality quantifier - applicable aussi bien à leurs faits et gestes qu’à leur histoire personnelle, leurs catégories de pensée, leur physiologie ou encore leurs habitudes.

Le montage commence par des extraits de l’infomercial que Robbins fait diffuser tard dans la nuit sur les chaînes de télévision américaines. Ce mélange de publicité et de film promotionnel pour émission de télé-achat, dont je passe une partie en accéléré par souci de temps, vise à présenter ce personnage, à mi-chemin entre P. T. Barnum et Mesmer, devenu le coach le plus influent aux États-Unis (son ensemble de cassettes audio de développement personnel, Personal Power II, aurait ainsi été vendu en plus de 35 millions d’exemplaires[MCGEE Micki, Self-Help, Inc. : Makeover Culture in American Life, Oxford ; New York : Oxford University Press, 2005, p.62]).

Vient ensuite une présentation de cette cassette vidéo en question, qui introduit le « Système de management de la vie » (Life Management System) imaginé par Robbins. Comme il l’explique, les Américains souffrent d’un mal nouveau : un déficit de management. S’ils sont stressés, s’ils sont obèses, s’ils n’ont pas la vie dont ils rêvent, c’est parce qu’ils « ne managent pas leurs ressources efficacement ». L’objectif de l’enseignement dispensé par Robbins est en ce sens de faire d’eux les managers performants de leur propre vie.

Pour les y aider, continue-t-il sur scène, il a élaboré un outil « si simple » que « vous pouvez l’utiliser immédiatement, qui est facile et qui produit des résultats ». Cet outil permet de « changer la qualité de vos expériences, n’importe lesquelles, en quelques secondes. N’importe quelle expérience : faire l’amour, une situation professionnelle, un repas, des exercices... tout. »

Cet outil, c’est le quality quantifier, un instrument de quantification universelle de la qualité de vos expériences. Utilisable par tout un chacun, il consiste à quantifier, en utilisant une réglette allant de -10 à +10, la qualité de votre rapport à quelque chose ou à quelqu’un. Dans l’exemple montré dans la vidéo, que j’ai coupé au montage parce qu’il dure bien davantage que quelques secondes, un amateur de pizzas souhaitant se défaire de sa passion est invité à quantifier les différents aspects de son expérience d’ingurgitation d’une pizza : combien note-t-il son odeur ? sa consistance, etc. ? Ceci étant fait, Robbins l’aide à transformer ces notes positives en notes négatives. En lui demandant par exemple de concentrer son attention sur certains éléments de son expérience comme l’odeur du fromage suintant ou celle de la viande trop grillée, Robbins change son désir en répulsion. L’expérience de la pizza, notée au départ +9 par son amateur, doit baisser jusqu’à -9 ou -10. Et c’est bel et bien ce qui arrive dans la vidéo originale.

Applaudissements et cris dans la salle.

La suite du montage (4:43 min.) résume l’utilité du quality quantifier : accroître ou diminuer « votre niveau de désir » afin d’atteindre une meilleure qualité de vie. Le point que met ici en lumière Robbins, c’est que vous pouvez et devez déterminer par avance la qualité de vos expériences, et donc votre qualité de vie.

En prenant l’exemple d’un jogging sur la plage, il explique à ses spectateurs qu’ils doivent décider a priori de la qualité de ce jogging en lui attribuant une note avant même de commencer à courir. Selon cet entendement, la qualité d’une expérience ou d’une pensée doit être prédéterminée. Une fois cette note explicitement formulée, il suffit de l’augmenter. Vous aviez prévu de faire un jogging de qualité +6,5 ou +7 ? Décidez d’en faire un de qualité +9,5 ou +10 ! Pour cela, « reprogrammez-vous » : convainquez-vous de votre capacité à atteindre ce niveau d’expérience et créez en vous les conditions suffisantes pour l’atteindre effectivement.

Voilà résumé, en six minutes, l’un des principes majeurs de la plupart des programmes de coaching de vie et de développement personnel. La qualité de vie dépend d’une quantification et d’un management avisé de vos ressources - vos ressources corporelles, vos ressources intellectuelles et mentales, vos ressources sociales, vos ressources énergétiques, vos ressources temporelles, etc. Mais aussi de la quantification et du management de vos objectifs, de vos plans d’action et de vos désirs (à quel point précis désirez-vous cet objet, ce poste ou cette personne ? +6 ? -3 ?).

Le tropisme managérial de Robbins (recours à des outils de mesure et à des techniques d’organisation et de contrôle de soi à la recherche d’une efficacité accrue) est en revanche symptomatique de sa démarche et de celle d’une proportion croissante de programmes de coaching de vie et de développement personnel vendus en masse aux États-Unis. De tels programmes, qui font leur chemin en France depuis une dizaine d’années, tendent à appliquer toujours davantage les principes managériaux à la compréhension et au gouvernement de soi. Il s’agit de considérer l’existence comme une somme de ressources et d’activités volontairement orientées vers des objectifs prédéterminés dont on peut contrôler les performances au moyen de mesures objectives.

Selon un tel prisme, le gouvernement de soi est assimilable à la gestion d’une entreprise.

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Annexe 1. Texte de la vidéo accompagnant cette présentation

La retranscription ci-dessous ne concerne que la partie du clip sur la qualité de la vie.

"we are not managing our resources effectively enough, that what we want to change in this process. So part of what we gonna do here is take a look at what the cost is also if you don’t do it and what you can gain. We in our country, to give you an idea, in America we have 60 to 70% of the people who are overweighted, depends on whose polls you read. How is that possible ? Only one way : not managing the resources, of your emotional state, of the way you eat food, of the way you move, and that costs you the quality of your life. There are 15 millions people that every year in United States are diagnosed as chronically depressed. 15 millions ! How can that be ? Not managing the resources of your mind, your body so you can really feel good day to day. You can feel good day to day, you certainly have. But you have tools to do that and how to manage your state."
[...]
“Now I want to give you one little tool, and it’s a tool that is so simple again... my idea of profound knowledge is that you take something complex, and you figure how to make it so simple anybody can do it, you can use it immediately, it’s easy, and it produces results. Now, I tell you what the tool is. It about how to change the quality of any experience your have, in a matter of seconds. Any experience : love making, a business situation, a meal, an exercise, anything. And the tool I want to talk to you about is called the quality quantifier. And what really it is about is how to increase the quality of any experience you have. It’s about how to change the quality of any experience you have, in a matter of seconds. Any experience. Love making, a business situation, a meal, exercise, anything.

“And the tool I wanna talk to you about is called the quality quantifier. And what it is about is how to increase the quality of any experience you have."
[...]
"let’s quantify that. There a quality of our experiences, there a quality of our states where we fall through, where we fall through a little, where we don’t fall through at all, and where literally no one can make us fall through. Everyone has this capability, it’s all matter of manipulating our focus, our perceptions, the meaning we attach to things."

Je ne présente que sous la forme de photos le passage où il apprend à un mangeur invétéré de pizzas à maîtriser son envie, au moyen d’une quantification précise de son désir de pizza, qu’il fait passer de +10 à -11 en quelques minutes.

Robbins résume enfin ce dont il a été question, au fond, tout au long de cette vidéo : "what is this really about ? Quality of life. We’re talking about setting goals for quality of life. Here is about what you do. I want you not just to set goals for the quality of your life, I want you to decide and make it happen. The way you do that is : I’m going to go run on the beach. I don’t want to just go for the run and see what shows up, whether I enjoy it or not. I want to decide, in advance, what the quality of that run is gonna be for me. So if you want to take something that already feels ok, or you’re not inspired to do, and increase its intensity of enjoyment. Ok, say : where am I right now about going on this run on the beach ? 0 to 10. Well, I’m about a 6,5 or 7. What does it take me to be at an 8 now ? I don’t know. [... 1:06] Don’t settle for what life gives you. You determine the quality of your life, and the way you do is to ask this question : if I’m at level 7 now, what conditions. First condition : what is the level I wanna have. Maybe you don’t want a level 10 run. Maybe I want it to be a 9 or an 8. What conditions must I create within myself for that to be a level 9 run."

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Annexe 2. Graphiques

Fig. 1. Outils de mesure de l’engagement et de la satisfaction (ROE = Retour sur investissement énergétique), utiles selon leurs concepteurs à l’analyse du style de vie et à un « management efficace du style de vie ». (MARSHALL John C. and MCHARDY Bob, The Principles of Self-management : The Key to Personal and Professional Success, Toronto : Selection Testing Consultants International, 1999, p.74)

Fig. 2. Un « inventaire de personnalité » mettant en « score », sous la forme de pourcentages, les composantes de la personne (DUSOLLIER Bruno, Comprendre et pratiquer la process communication (PCM) : un outil efficace de connaissance de soi, management et coaching, Paris : InterEditions, 2006, p.73)

Fig. 3. Tableau d’évaluation proposé par l’auteur du Grand guide de l’évaluation du facteur humain. Pour l’auteur, « La source opérationnelle utilisable pour déterminer un plan d’action nous est fournie par la gestion du temps appliquée à la maîtrise de soi. Dans cette pratique, le plan d’action est borné dans le temps. Il peut faire l’objet d’un effort mesuré parfaitement contrôlable et gérable parce que l’effort est limité dans le temps (une journée) et qu’il est structuré, tout au long de la journée par des délais et par des priorités. (LABRUFFE Alain, Le Self-Management : l’art de survivre au travail !, La Plaine-Saint-Denis : AFNOR éd., 2010, tableau p.67, citation p.71)

Fig. 4. Outil de planification des tâches proposé par le coach à succès Stephen Covey (COVEY Stephen R., The Seven Habits of Highly Effective People : Restoring the Character Ethic, New York : Simon and Schuster, 1989, p.167 et p.180).




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