Lectures, 12 octobre 2022. À propos de : DASTON Lorraine, Rules : A Short History of What We Live By, Princeton, Princeton University Press, 2022.
Le dernier ouvrage de Lorraine Daston propose une histoire des règles en Occident depuis l’Antiquité – une histoire des manières de penser la règle, mais aussi de l’appliquer. Malgré ce programme écrasant, l’historienne des sciences produit une réflexion pleine de qualités : bien écrite, claire, d’une érudition réjouissante et jamais gratuite, volontiers drôle. Même si le livre n’est pas sans défauts importants. En ligne ici.
Recension croisée et critique parue dans 20 & 21. Revue d’histoire, n°153, 2022, p. 186-187.
À propos de COLON David, Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain, Paris, Belin, « Histoire », 2019, 432 p., et de COLON David, Les Maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse, Paris, Tallandier, 2021, 352 p. Deux livres qui cumulent problèmes de définition, affirmations abusives, approche restrictive et surestimation des effets de la propagande.
29 septembre 2022.
La recension de Kevin Mellet me paraît poser trois problèmes : mal résumer le livre, lui inventer des lacunes et promouvoir des travaux pour des raisons qui semblent plus personnelles que scientifiques. Comme on va le voir en la reprenant point par point, il s’agit d’une recension à charge. Elle est en ligne là et ma réponse est à lire ici.
Lectures, 4 avril 2022. À propos de : Christian Le Bart et Florian Mazel (dir.), Écrire les sciences sociales, écrire en sciences sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Métier de chercheur·e », 2021.
Qu’ils le veuillent ou non, et quelle que soit leur discipline, les chercheurs font le métier d’écrire. La vie de l’esprit se déroule en public. Il faut passer par l’écrit pour formuler ses idées, les trier, les articuler, les tester, les partager. Et les communautés scientifiques sont organisées autour de la production, de la réception et de l’usage de textes. Même dans les sciences dures, comme l’ont montré Bruno Latour et Steve Woolgar à propos de la biologie, les scientifiques sont « des écrivains compulsifs, sinon maniaques ». Ce que désirent les universitaires (un poste, une augmentation, un financement, de la reconnaissance, des disciples), c’est largement par l’écrit qu’ils peuvent l’obtenir. Bref, l’écriture est une affaire sérieuse.
L’article entier est en ligne là. Les conseils de lecture qu’il présente sont en ligne ici.
Review of Johann Chapoutot, Free to Obey : How the Nazis Invented Modern Management, translation by S. Rendall, New York, Europa Editions, 2023 (Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2020). Review originally published in French in the Revue d’histoire moderne et contemporaine, Vol. 3, no. 67, 2020, pp.171-187.
Johann Chapoutot’s new book makes two main claims : not only that Nazism was a “managerial moment,” but also that it was “one of the seedbeds of modern management.” He fails to prove either of these hypotheses. The first part of the book describes a Nazism that is not particularly managerial, while the second describes a management that is not particularly Nazi. Regarding the “managerial moment” claim, Chapoutot focuses on just a handful of SS jurists whose ideas had more to do with military command than management, and whose influence on management seems minimal. As for the second claim, it relies on a flawed syllogism : an SS jurist becomes an influential management instructor in postwar Germany ; some elements of his managerial theory were already present in his pre-1945 writings ; therefore, management is tied to Nazism. In attempting to tackle a vast question, Chapoutot offers a history that is riddled with blind spots, partial, and sometimes even tendentious. (Article original en français.)
Critique, tome 56, n°882, 2020, pp.952-968. (Note de lecture sur Bernard E. HARCOURT, La Société d’exposition : désir et désobéissance à l’ère numérique, trad. de S. Renaut, Paris : Seuil, 2020 [2015], et Bernard E. HARCOURT, The Counterrevolution : How Our Government Went to War against Its Own Citizens, New York : Basic Books, 2018).
La Société d’exposition part d’un constat qui ne devrait plus surprendre depuis les révélations d’Edward Snowden, en 2013 : « Notre envie de publier des selfies sur Instagram et des commentaires sur Facebook, de faire des recherches sur Google, d’acheter sur Amazon, de regarder des films sur Netflix et des vidéos sur YouTube alimente sans qu’on le veuille les mécanismes de surveillance des GAFA, de la NSA, de la DGSE et des services de renseignement du monde entier » (p. 252). Son originalité est d’essayer de lier cette surveillance généralisée à deux réalités en apparence très éloignées : d’un côté une économie du désir, de l’autre les politiques répressives menées aux États-Unis depuis le 11-Septembre. L’ambition est très louable, mais la démarche intellectuelle n’a pas toujours la rigueur qui rendrait la démonstration convaincante.
Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 3, n° 67, 2020, pp.171-187. (Note de lecture sur Johann CHAPOUTOT, Libres d’obéir : le management, du nazisme à aujourd’hui, Paris : Gallimard, 2020).
Le livre défend deux thèses : le nazisme a été non seulement « un moment managérial », mais aussi « une des matrices du management moderne ». Ni l’une ni l’autre de ces thèses n’est cependant démontrée, la première partie du livre présentant un nazisme bien peu managérial, et la deuxième un management bien peu nazi. En fait de « moment managérial », J. Chapoutot ne s’intéresse qu’à une poignée de juristes SS dont les réflexions avaient davantage à voir avec le commandement militaire qu’avec le management, et dont l’influence dans le domaine managérial semble insignifiante. La seconde thèse, quant à elle, repose sur un syllogisme biaisé : un juriste SS devint un influent professeur de management dans l’Allemagne d’après-guerre ; or des éléments de sa théorie managériale étaient présents dans ses écrits antérieurs à 1945 ; donc le management est lié au nazisme. Face à une question immense, J. Chapoutot propose une histoire constellée d’angles morts, partiale et parfois même tendancieuse. (English translation here.)
Zilsel, n°6, octobre 2019, pp.418-466.
À propos de : Katherine Verdery, Secrets and Truths : Ethnography in the Archive of the Romanian Secret Police, Budapest, Central European University Press, 2014.
Katherine Verdery, My Life as a Spy : Investigations in a Secret Police File, Durham, Duke University Press, 2018.
« Je suis allée en Transylvanie en 1973, pendant le règne du dictateur communiste Nicolae Ceaușescu, afin de conduire des recherches ethnographiques sur la vie rurale ; je suis retournée en Roumanie pour continuer ces recherches à plusieurs reprises dans les années 1970 et 1980, cumulant plus de trois années sur place. Puis, plusieurs décennies plus tard, j’ai découvert que la police secrète roumaine, la Securitate, avait constitué un énorme dossier de surveillance à mon sujet : 2781 pages. À sa lecture, j’ai appris que j’étais “en réalité” une espionne, un agent de la CIA, une agitatrice hongroise, une amie de dissidents : bref, une ennemie de la Roumanie. » (2018, p. xi)
Lectures, 27 mai 2019. À propos de : Grégoire Chamayou, La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris : La Fabrique, 2018.
Je dois commencer par dire que je connais personnellement Grégoire Chamayou. C’est lui qui a proposé mon premier livre au comité de rédaction de La Découverte, et il a accueilli mon second livre dans sa collection « Zones », au sein des mêmes éditions. Je n’entreprends donc pas cette critique de gaité de cœur. Le compte rendu d’Alexandre Klein ayant bien résumé le livre, je me contenterai de pointer les travers de la thèse et les limites de la méthode. En ligne ici.
La vie des idées, 8 mars 2019
Voté par l’Assemblée nationale en octobre 2018, le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) est actuellement examiné par le Sénat. C’est l’occasion de revenir sur la démocratie d’entreprise, qui vient de faire en France l’objet d’une abondante littérature. En ligne ici.
Note de lecture sur BOURDIEU Pierre, Anthropologie économique, cours au Collège de France, 1992-1993, éd. établie par P. Champagne et J. Duval, postface de R. Boyer, Paris : Seuil ; Raisons d’agir, 2017
Bourdieu s’est intéressé à l’économie depuis ses premiers travaux en Algérie. Tout en bâtissant une œuvre « orientée, et cela dès l’origine, contre la réduction de toutes les pratiques à l’économie » (1992, p. 92), il emprunte de nombreux concepts à la théorie économique : capital, investissement, profit, valeur, offre, demande, marché, monopole, contrat, concurrence. Il est ainsi surprenant de voir qu’il n’a consacré à l’économie que deux années de ses cours au Collège de France, dont seule la première est ici retranscrite. Ces neufs cours, donnés entre avril et juin 1993, se divisent en deux parties : à une longue introduction consacrée à l’« Essai sur le don » de Mauss succède une réflexion très générale sur la théorie néoclassique, l’homo œconomicus et les fondements sociaux de l’action économique. Ils sont assez décevants.
Revue française de science politique, vol. 67, n°3, 2017, pp. 547-554
Les sociologues Luc Boltanski et Arnaud Esquerre se proposent de faire pièce à une question économique majeure : comment les objets sont-ils investis d’une valeur propre ? Leur réponse prend la forme d’une typologie distinguant quatre formes principales de valorisation : la forme standard (objets industriels de série vendus neufs), la forme collection (objets déjà là appartenant à des séries qu’il s’agit de compléter), la forme actif (objets achetés uniquement pour être revendus), la forme tendance (objets saisonniers liés à une mode). La démonstration, très documentée, pêche néanmoins par sa longueur, ses partis pris méthodologiques et la faiblesse de ses concepts.
La vie des idées, 20 février 2017. Recension de Jean-Philippe Robé, Le Temps du monde de l’entreprise : globalisation et mutation du système juridique, Paris, Dalloz, 2015, 606 p.
Si l’entreprise n’a pas d’existence juridique, elle a su détourner le droit des individus à son profit et elle constitue en soi un système légal autonome. Ces trois thèses forment le cœur d’un recueil d’articles en français et en anglais de l’avocat et enseignant à l’École de droit de Science Po Jean-Philippe Robé. À lire ici. (Article paru sur le site laviedesidees.fr le 20 février 2017 et repris dans CHAVAGNEUX Christian et LOUIS Marieke (Ed.), Le Pouvoir des multinationales, Paris : PUF ; Vie des idées, p. 55-61.)
Lectures, 15 septembre 2016. À propos de : David Graeber, Bureaucratie. L’utopie des règles, Paris, Les Liens qui libèrent, 2015.
Disons le tout de suite : si David Graeber est un penseur original et souvent inspiré, son dernier recueil d’articles est un peu décevant. Loin de montrer l’érudition et l’esprit de synthèse qui faisaient la force de sa critique de la dette, il ne fait que rassembler, généralement sans les approfondir, des observations déjà présentes dans ses précédents ouvrages. La sortie très médiatisée de ce livre est l’occasion de discuter les thèses politiques de son auteur et les platitudes théoriques de son militantisme.
La suite En ligne ici.
Quaderni, Communication, technologies, pouvoir, n°86, hiver 2014-2015, pp.79-82
Recension de trois livres d’Éric Sadin :
Surveillance globale : enquête sur les nouvelles formes de contrôle, Climats, 2009
La Société de l’anticipation : le web précognitif ou la rupture anthropologique, Inculte, 2011
L’Humanité augmentée : l’administration numérique du monde, L’Échappée, 2013
La vie des idées, 29 octobre 2013
La compréhension du monde et sa transformation peuvent-elles se réduire à de simples questions de programmation ? Alors que vient de paraître son deuxième ouvrage, Who Owns the Future ?, il n’est pas inutile de discuter les intuitions du geek humaniste Jaron Lanier, qui dénonce la standardisation des consciences et la démonétisation croissante de l’économie. En ligne ici.
La vie des idées, 2 juillet 2013
Aux yeux de Paul Krugman, la solution à la crise est simple : l’État doit gagner moins et dépenser plus. Si les réponses gouvernementales peuvent sembler mal ajustées, c’est selon lui la faute aux dogmes économiques dominants et à de puissants intérêts particuliers. En ligne ici.
Note critique sur l’ouvrage de HIBOU Béatrice, La Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris : La Découverte, 2012, mars 2013
Le dernier ouvrage de B. Hibou est une exploration sociologique du pullulement normatif qui accompagne l’essor du néolibéralisme depuis une trentaine d’années. Si les cas étudiés sont éclairants, on peut regretter quatre partis pris de méthode : l’assimilation de la bureaucratie à un phénomène essentiellement capitaliste ; la focalisation sur l’ère néolibérale ; une conception trop strictement régalienne de la bureaucratie et du pouvoir ; et la minoration des dimensions symboliques et culturelles de la bureaucratie.
Papier de travail, février 2013, 10 p.
Publié vingt ans après son coup d’éclat sur la fin de l’Histoire, le dernier ouvrage de Fukuyama entreprend d’en raconter le début. Cette préquelle entend retracer la naissance et l’arrivée à maturité du héros de cette histoire politique de l’humanité : l’État. La méthode utilisée consiste « à généraliser et à comparer bien des civilisations et bien des époques » (2011, p.39) selon deux perspectives que nous allons maintenant discuter. Si cette quête des origines peut sembler moins intellectuellement hasardeuse que l’annonce d’une fin de l’Histoire, elle n’est guère plus convaincante.